« LE HAIKU – POEME DES SAISONS »
(extrait)
Textes présentés et traduits par Conrad MEILI
***
LE HAÏKU ET LE SENTIMENT DE LA NATURE
Conrad MEILI
(Introduction : historique de l’attitude face à la nature au Japon)
HISTORIQUE DU HAÏKU
[…]
LE HAÏKU, EXERCICE SPIRITUEL
Le Haïku est le poème le plus court qui soit dans la poésie humaine .
Composé de trois vers de 5, 7, 5 syllabes, il contient dans un style ramassé, fait de notations et d’éclairs, grâce à quatre ou cinq images-idées, dont une fait obligatoirement allusion à la saison, un symbole poétique. Kyoshi Takahama définit ce genre de poésie « expression spontanée des sentiments et de la vie à travers les quatre saisons ».
Le Haïku est aussi une école de discipline et de concentration en même temps qu’exercice de méditation. Il exige ascétisme de langage et patience dans l’œuvre.
N’est-ce pas une discipline pour le poète, quand en trois vers si courts dans le temps et dans l’espace, il exprime par trait elliptique l’étincellement, la tension, la beauté, la profondeur, et par surcroît, la couleur et la forme.
Abstraire l’anecdote et l’émotion sans jamais les montrer nues, exprimer par une langue cursive et simplifiée le choc subi ; le Haïku est bien une exclamation poétique et symbolique en gros plans, donnant le départ à une pensée pour son développement. J’ajouterai : le Haïku est un pont qui mène le lecteur d’un spectacle de la nature en sa saison, vers une idée plus profonde. Il dépend du lecteur que ce pont soit ouvert ou fermé.
TECHNIQUE DU HAÏKU
Haïkaï est une appellation fausse d’un genre poétique qui s’appelle « Haïku », « Hokku » ou même « Onku ».
Si simple à première vue, ce poème court a été souvent pris pour un poème descriptif, comme s’il n’était qu’une image. Mais nous avons vu que, poème de méditation, provoquée par une image, il est en même temps moralisateur ou philosophique, image et musique et qu’il appartient au lecteur, plus que dans toute autre poésie, de lire entre les lignes et les images pour pénétrer, à travers les quelques rares symboles accolés, la pensée du poète.
Il n’a ni mètre ni rime.
Sa langue n’est ni la langue parlée ni la langue écrite, mais un condensé littéraire suggestif. La syntaxe n’est guère respectée, les inversions foisonnent. Le verbe est souvent supprimé. S’il y figure, le temps est négligé. S’agit-il du pluriel ou du singulier ? Il est rare que le nombre soit indiqué.
Les génétifs sont souvent formés de l’accouplement de deux ou même trois substantifs.
Le choix des vocables poétiques recherche l’élégance et un canon de proportions. Ainsi le Haïku possède une architecture, du style et un certain rythme. Ce dernier est créé par le nombre de syllabes imposées et par le langage syncopé.
[…] (Développement sur les syllabes en japonais)
La liberté poétique admet encore des vers de 7, 7, 5 syllabes ou de 5, 7, 7 syllabes. Mais le Haïjin préfère observer la règle initiale qui approche du nombre d’or.
On emploie dans la composition du Haïku des « Kire-ji » ce qui veut dire « mots de césure ». Ce sont les deux mots « Ya » et « Kana ». « Ya » figure soit à la fin du premier vers, soit dans le corps ou à la fin du deuxième vers. « Kana » n’est employé qu’à la fin du troisième vers comme mot final ou point d’orgue.
Ces mots de césure ne sont pas employés dans le langage courant. Ce sont des mots de remplissage ou des exclamations. Faut-il les traduire ? Si l’auteur le veut, oui, mais qu’en savons-nous ?
Un autre mot de remplissage est cette ancienne forme du passé « keri ». Employé de plus en plus rarement, on le trouve à la place de « kana », à la fin du troisième vers, si ce vers se termine par un verbe de trois syllabes. – (Ainsi : « Asobi-keri », à la place d’« Asobi kana », « jouer »).
Ces mots de remplissage sont d’un grand secours lors de la composition d’un Haïku.
La Saison est indiquée obligatoirement, par son appellation propre ou par ses caractéristiques.
Ainsi on lira : « Printemps » ou ce qui l’exprime : fleurs de prunier, papillon, rossignol, hirondelle, grenouille, cerisier, camélia, fleurs de pêcher, glycine, pivoine, azalée …
« Fleurs », sans autre indication, s’interprète : « fleurs de ceriser ».
De même pour « Eté », on suggérera la saison en parlant de « koromo-gae », c’est-à-dire changement de vêtements, saison des pluies, réunions dans la fraîcheur nocturne, coucou, lucioles, cigales, libellules, volubilis, lotus, lys, pavot …
Pour « Automne », on songera à la Voie lactée, à la pleine lune, aux canards sauvages, aux corbeaux, aux insectes chanteurs, aux chrysanthèmes, à l’érable …
Pour « Hiver », on choisira les feuilles mortes, le froid, les arbres dénudés, la glace, la neige, le Nouvel An …
D’ailleurs un dictionnaire poétique fixe la discipline des vocables acceptés par le Haïku.
Le Haïku n’est pas une phrase. Il en suggère plusieurs.
Comme la description du thème choisi doit être des plus complètes, il ne reste au poète point de place pour exprimer un sentiment personnel. Celui-ci se cache derrière la description et le lecteur doit le comprendre à travers le symbole.
De par sa contrainte architecturale, le Haïku est si peu explicite qu’il resterait obscur si le poète n’y ajoutait pas, pour faire comprendre son intention, une exégèse. Ainsi le fait le maître Takahama pour les poèmes qu’il signe dans sa revue Hototogisu.
J’ajoute que le Haïku ne parle pas d’amour. Ce sentiment a sa place dans le Tanka. Il conserve ainsi un caractère de haute philosophie qui se refuse aux « amitiés particulières ».
Enfin, purement japonais, le Haïku n’emploie qu’exceptionnellement des mots d’origine chinoise.
Ces diverses constatations soulèvent immédiatement le problème de la traduction. Comment exprimer en d’autres langues cette poésie sans fausser son image et son esprit, sans détruire son architecture ? Le Haïku à cause de sa forme est presque intraduisible. De plus, calligraphié en japonais, il représente autre chose que des « mots qu’on entend », mais des « mots qu’on voit ». L’écriture à l’encre de Chine, forme tableau entre l’abstrait et le symbole. Elle se compose d’idéogrammes chinois pour les substantifs et les verbes ou adjectifs dans leurs radicaux, lesquels se terminent par des syllabes tracées en alphabet japonais syllabique indiquant les terminaisons choisies.
Ainsi, une fois traduit, le Haïku perd avec la beauté de sa ciselure, son pouvoir suggestif. Son mystère et sa grandeur, cette vision par le petit bout de la lorgnette, sont détruits et l’expression vivace de l’onomatopée est supprimée.
Rendre par des vocables étrangers l’onomatopée et l’image composée d’allusions, autant « décrire une image ». C’est essayer de transformer un poème visuel par un poème destiné à la seule oreille. Essayez donc de transformer un kimono de coupe stricte et immuable, frémissant de ses ramages, en robe de grand couturier qui ne vaut que par l’allure et la ligne !
La poésie du Haïku parle à la vue. Elle est destinée à être regardée et non à être enfermée dans un livre. Calligraphiée, elle devient une poésie de décoration : nous la verrons sur les murs sous forme de kakemono (rouleau peint), de gakumen (tableau encadré), de shikishi (carton carré) ou de tanzaku (longue bande de carton). Ces cartons sont parfois de couleur ou rehaussés de motifs légers d’or et d’argent. On décore ainsi paravents et cloisons de quelques Haïku à la calligraphie élégante ou fantaisiste. Enfin, on les inscrit jusque sur le pan des kimonos, les doublures précieuses des manteaux ou les ceintures. Le poème ajoute au costume et à la personne un cachet de raffinement spécial.
J’appellerai donc le Haïku, œuvre d’art et manuscrit, un frémissement de la main du poète, l’orfèvrerie toute spirituelle de son inspiration.
QUELQUES POÈTES DU HAÏKU
[…] Biographies de Bashô, Buson, Issa et Shiki Masoaka
A TRAVERS LE HAÏKU
Iio SOGI (1420 – 1502)
LA VIE HUMAINE
Partir à la recherche des cerisiers en fleurs,
Mais revenir
Avec des violettes sauvages
MORT
Prenant son vol
Cette unique feuille
Comme une barque à la rencontre des étoiles
Teitoku MATSUNAGA ( 1570 – 1653)
Fondateur de l’Ecole Teitoku, Kyoto
LUNE D’AUTOMNE
Elle oblige tous les hommes
A dormir en plein jour,
Cette lune d’automne
BASHO (1644 – 1694)
PENSEE TRISTE
Ah ! ce chemin
Où personne ne passe
Sinon le crépuscule d’automne
LA VOIE LACTEE
Au-dessus d’une mer démontée,
Vers l’île de Sado,
La Rivière du Ciel s’incline
REPLIQUE AU POETE KAKU
Devant le volubilis épanoui
Nous mangeons notre repas,
Nous qui ne sommes que des hommes
CANARDS SAUVAGES
Sur la mer, dans le crépuscule,
Lointain et blème,
Le cri des canards sauvages
DE MA HUTTE
Sous un nuage de fleurs,
Une cloche sonne. A Ueno ?
Ou Asakusa ?
CHANT DES CIGALES
Quel silence !
Pénétrant les rochers,
Le chant des cigales
LES HUIT VUES D’OMI
Sept vues renommées, hélas !
Sont cachées dans la brume,
Mais de Mii, j’entends la cloche …
Kikaku TAKARAI (1660 – 1707)
Eddo
LE MENDIANT
Ah ! ce mendiant
Qui, de la terre va au ciel,
Vêtu du seul été
LA PUCE
Ce coup de sabre,
Est-ce rêve ou réalité ?
Une piqûre de puce !
CHIYO-NI (1701 – 1775)
Poètesse à Matsugo (Kaga)
VOLUBILIS
Mon seau pris par les volubilis,
Donnez-moi votre eau
LUNE D’ETE
Frôlant le fil
De ma canne à pêche
Monte la lune d’été
MATIN D’HIVER
Dans les champs, dans les collines,
Plus rien ne bouge
Par ce matin de neige
LA SOURCE
Oubliant que du rouge
Fleurissait ma bouche,
J’ai bu à la pureté de la source
PRINTEMPS
Sous la pluie printanière
Plus rien, que l’embellissement
De toutes choses.
BUSON (1715 – 1783)
Peintre et poète
LA CLOCHE ET LE PAPILLON
Sur la cloche suspendue
S’étant posé, il dort,
Ce petit papillon
PLUIE DE PRINTEMPS
Voyez sous la pluie printanière
L’entretien que mènent
Ce manteau de paille et ce parapluie
LA DANSEUSE
Sous les fleurs, elle n’a pas dansé !
Je reviens avec une rancune
Contre cette danseuse
CERISIERS EN FLEURS AU MONT YOSHINO
Devant la beauté des Monts Yoshino
Qui volerait une fleur !
ROSSIGNOL
La voix du rossignol
S’éloigne, et le jour aussi
Devient crépuscule
ISSA (1763 – 1827)
PENSEE POUR L’ENFANT MORT
Dans ce monde de rosée,
Une goutte de rosée
Peut bien disparaître, cependant …
OISEAUX MIGRATEURS
Sans se chercher querelle
S’aimant et s’entr’aidant
Passent les oiseaux
LUNE A LA MONTAGNE
La lune de la montagne
Eclaire même
Les voleurs de fleurs
LUCIOLES
Ne foulez pas le sol,
Là où la nuit dernière
Les lucioles ont brillé
L’ARGENT
Des ailes leur poussent,
Les écus volent !
Voici la fin de l’année
LES ESCARGOTS
Escargots !
Peu à Peu
Vous y grimpez, au Mont Fouji !
L’ENFANT ET LA LUNE
Cette pleine lune d’automne,
Prends et donne-la moi, –
Pleure l’enfant
LUNE ROUSSE
Cette lune rouge,
A qui est-elle,
Se demandent les enfants
MALADIE
Ah ! quelle est belle
A travers le trou de la cloison,
Cette Voie Lactée
MAISON NATALE
Dans ma maison natale,
Jusqu’aux mouches
Piquent le pauvre
SHIKI (1867 – 1902)
LA RIVIERE MOGAMI
Dans son élan, elle emporte l’été,
La rivière Mogami
TOMBES D’AUTREFOIS
Ici, à Saga, parmi les herbes de l’été,
Nombreuses sont les tombes
D’anciennes beautés
APRES LE TONNERRE
Le tonnerre cesse,
Sur l’arbre éclairé du couchant
Recommence le chant des cigales
LES ALOUETTES
Foulant les nuées,
Aspirant la brume,
Les alouettes montent
LES CARPES
Vois,
Sur la tête des carpes
Rebondir l’averse
JOURNEE DE PRINTEMPS
Les jours s’allongent, je crois,
Le bateau parle à la rive
LE VOLUBILIS
Le temps de le peindre,
Il se fane,
Le volubilis
LA PAON
Brise printanière :
Le paon déploie sa roue
NUIT DE PRINTEMPS
Nuit printanière :
Soufflant dans sa flûte,
Un passant
BRUME AU PRINTEMPS
Si je me retourne,
Ce passant,
N’est plus que brouillard …
Kyoshi TAKAHAMA (1874)
Continuateur et gardien de la tradition du Haïku, Kyoshi Takahama est actuellement le prince de ce genre poétique. Romancier-peintre, adepte de la Cérémonie du Thé et de l’art du Nô, il résume avec autorité la spiritualité et l’humanisme du Japon, exerce une profonde influence sur les écrivains nippons, tant par son œuvre personnelle considérable que par sa revue Hototogisu.
LE SERPENT
Le serpent fuit,
Mais ses yeux qui me regardaient
Sont restés dans l’herbe
LUNE DE PRINTEMPS
Sur les hautes vagues qui moutonnent,
Ces esquisses, peintes
Par la lune printanière
PAPILLON
Le bruit que fait
Un papillon qui mange
N’est que silence
VENT D’AUTOMNE
Dans les rafales du vent d’automne
J’entends ma voix
Qu’elles emportent
FIN DE SAISON
Alourdie par la rosée
De cette tige
Une dernière cigale chemine lentement
NOUVEL AN
L’année, comme un géant s’éloigne,
Fait sonner ses grands pas
Dans le temps
ETE
Averses de juin !
Les pêcheurs jettent leur ligne
Comme entraînés par le courant
MONASTÈRE
Pleurant de grosses larmes
Les religieuses se font face, –
Elles mangent du raifort
ENDURANCE
Projetée dans l’herbe
Par l’averse
La cigale chante encore
LE TEMPS
Tristesse de l’Histoire !
A peine apprise, je l’oublie
Dans l’automne de mon grand âge
Par clair de lune,
Je jouissais des nuits,
Maintenant je songe à mon âge
COMPRENDRE
C’est en plongeant la main
Dans l’eau, parmi les herbes aquatiques
Que je saisis l’esprit de l’étang
LÉGENDE
La légende est triste,
Mais chantée
Elle est belle
NUDITÉ
La nuit tombée,
Un instant, entre deux vêtements,
Sa nudité
PASSANTE
Etait-ce l’éclair ? –
Ou, – le franchissant,
Les jambes nues de cette femme ?
AMOUR
Pluie printanière !
Sur le chevalet, après l’amour,
Son vêtement pèse plus lourd
Femmes de Kyoto,
Quel péché mortel
Si vous ne succombez pas
Sous les cerisiers en fleurs
ROHO – Contemporain
LION ET PAPILLONS
Malgré le rugissement du lion,
Sur sa cage vont et viennent
Deux papillons emmêlés
SANYO – Contemporain – Soldat en Chine
EN CAMPAGNE
Dans l’étang aux lotus
La lune se brise en morceaux
Quand j’y lave mon riz
DAIKESHI – Contemporain – Soldat en Chine
SOIR TRANQUILLE
La lune s’étant levée
Une pagode flotte dans l’air,
Comme un rêve
Conrad MEILI (1895) – Peintre
ESPOIR
En tombant,
La fleur du grenadier
Laisse derrière elle une étoile
DELICATESSE
Ayant accroché une fleur,
Dans sa confusion,
La main de l’aveugle tremble
PRINTEMPS
Au lever du soleil,
De tous côtés, les poissons
Fusent de la mer printanière
SOLITUDE
A la surface de l’étang, au col,
Vois ces têtards
Qui avalent les nuages